Par Marie YOWA
Les 12 étudiants de la Learning Expedition 2018-19 ont rencontré à Boston plus de 30 personnes du secteur de la Deep Tech : chercheurs au M.I.T., étudiants à Harvard, investisseurs, startuppers juniors, entrepreneurs seniors etc.
Un de leur premier constat : la culture ambiante pousse les jeunes à laisser venir leurs idées originales, et à tenter de les mettre en application concrète.
Entrer dans le bureau d’un professeur et buter sur des legos. Faire un réunions dans un atelier rassemblant tous les outils d’un menuisier... Les espaces créatifs ne se résument pas aux open spaces ! Qu’est-ce qu’un espace de créativité ? Et qu’est-ce qu’un espace d’innovation ? Au MIT, à Harvard, au Babson College et à Boston en général, nous avons eu la chance d’éprouver physiquement ces espaces, et avec eux les possibilités qu’ils renferment. Au delà d’un décor parfois (pré)-adolescent, l’ambition s’oppose complètement à toute infantilisation : il s’agit de pousser les étudiants à expérimenter, et in fine, à innover.
À partir de notre (brève) expérience américaine, cet article voudrait clarifier la différence entre innovation et créativité et présenter les moyens favorisant un écosystème vertueux : créativité → expérimentation → innovation. Le fait que de tels espaces manquent à SciencesPo est un vrai problème selon nous pour stimuler l’innovation dans notre école où les étudiants ne manquent jamais d’idées, mais plutôt de moyens physiques d’expression.
Créativité → expérimentation → innovation
La créativité désigne le processus par lequel le cerveau humain imagine de nouveaux concepts ou des solutions originales à des problèmes existants. Plus simplement, la créativité désigne notre capacité à avoir de nouvelles idées !
Or les idées ne sont que des “choses de l’esprit”. Ce n’est que quand on met en application une idée créative que l’on créé une innovation. L’innovation (exemple : Uber pool, dont l'algorithme a été créé dans un labo que l’on a visité ;-) ) signifie donc la mise en application concrète d’une idée (ici : des taxis partagés).
Pour faire simple (bien qu’il existe de nombreuses subtilités) :
Le MIT MediaLab, immense laboratoire de verre que l’on a longuement visité à Boston, est par excellence un espace qui pousse ouvertement ses membres à la créativité. Ce laboratoire du MIT dédié aux projets de recherche sur l’interface “homme-machine” a contribué’ à faire naître l’écran tactile, rien de moins ! A l’intérieur, tout est fait pour laisser place à la liberté de l’esprit, avec une conception de la création très ludique. Juliana Cherston, une jeune chercheuse, résume parfaitement dans cette courte vidéo, l’esprit du MIT MediaLab, et ce qui en fait un espace exceptionnel pour générer la créativité :
Il nous est arrivé à tous d’avoir des idées innovantes. Mais quand une idée nouvelle “surgit”, combien d’entre nous franchissent le pas, prennent leur courage à deux mains pour tenter de la mettre en application ? Qui ose entamer le processus de transformation de son idée en réalité ? Or c’est justement ce moment précis qui importe, c’est ce lien entre la créativité et expérimentation que les laboratoires, les écoles ou les incubateurs doivent apprendre à favoriser.
De la créativité à l’expérimentation
Nous avons tous déjà eu une idée géniale qu’on aurait aimé mettre en place : une machine à imprimer la nourriture par exemple, un pantalon auto-lavable ou un smartphone modulaire(comment ça, pas vous ?), à laquelle nous n’avons pas donné suite parce qu’elle paraissait trop improbable. La force du MIT MediaLab c’est de rassembler en un seul lieu plusieurs facteurs qui font que ces idées peuvent aboutir :
Des personnes très créatives, ayant des idées nouvelles qui peuvent sembler folles ou démesurées. À ce titre, nous tenions à vous partager notre mélange d’incrédulité et de fascination en rencontrant la brillante Ariel Ekblaw, une jeune doctorante responsable d’un groupe de recherche du MediaLab nommé “Space Exploration Initiative”. Elle nous a parlé de vie dans l’espace, et de l’espèce humaine en tant qu’espèce intergalactique ! Ces idées-là peuvent paraître déjà vues, si on les croise dans le domaine de l’imagination ou de la science-fiction… Mais justement, le MIT MediaLab donne à Ariel Ekblaw la possibilité de travailler à la mise en oeuvre ces “idées folles” !
Infrastructures. Lego, casques VR, matériaux en tout genre, et même une “cleanroom” (laboratoire sans poussière). Les étudiants et chercheurs bénéficient d’une multitude d’outils physiques pour expérimenter (bien sûr grâce à d’importantes ressources financières).
État d’esprit & culture du lieu. Aucune idée n’est trop folle pour être réalisée, et c’est peut-être là l’aspect le plus important. Par exemple, Ariel travaille sur des structures qui pourraient s’assembler toutes seules dans l’espace afin d’en faire des lieux d’habitats pour les astronautes.
Formation. Enfin, le MIT MediaLab offre un cadre qui permet de passer à l’acte, d’ailleurs tous les nouveaux arrivants suivent une formation intitulée “How to make (almost) anything” !
La “creative confidence” : oser risquer l’échec et oser recommencer (lien vers article d’Eléonore). Ce facteur nous a particulièrement intéressé car il est peu valorisé chez nous. La confiance créative fait l’objet d’un Ted Talk de David Kelley, fondateur du studio de design IDEO.
Le MIT MediaLab est donc la crème de la crème en termes de créativité, d'expérimentation, et d’innovation. On peut citer comme exemple de produit émanant de ses expérimentations la Kinect, l’encre des liseuses telle que Kindle, ou encore l’écran tactile !
Les “scouts” de lla Weissman Foundry : un exemple à suivre ?
Un autre “bac à sable” de créativité et d’expérimentation nous a marqué : la “Weissman Foundry”, au Babson College, connu comme la meilleure école d’entrepreneuriat des Etats-Unis.
La Weissman Foundry est un studio de design et un espace de collaboration. Dans cet espace, nous retrouvons certaines caractéristiques essentielles à la créativité et à l’expérimentation :
un open-space
la transdisciplinarité : cet espace est partagé avec une école d’ingénieur
une culture ouvert à la créativité : pas d’idée ? Ce n’est pas grave ! Les idées viendront en “traînant” dans ce lieu, en discutant avec d’autres personnes et en essayant de nouveaux outils, de nouvelles façons de faire. Le staff du lieu insiste beaucoup sur ce dialogue entre créativité et expérimentation.
Et si l’on ne sait pas se servir du matériel de menuiserie ? Si l’on n’a jamais codé ? Certes, il existe une multitude de ressources en ligne, il est quand même plus simple et plus agréable d’être guidé par un initié. C’est pourquoi le centre a mis en place un système d’aidants appelés les “scouts”.
Il est plus simple et plus agréable d’être guidé par un initié que d’apprendre sur internet
Les scouts sont des étudiants de l’école. La “pancarte” de chaque scout est accrochée dès à l’entrée du Centre : nom, photo, compétence, heure de permanence au Centre. Tous les scouts ne sont pas sur les lieux aux mêmes heures, et il y a trois tournées par jour. Ainsi, si un étudiant a besoin d’aide pour coder ou pour me servir d’une machine, il sait directement à qui s’adresser. Cela paraît anodin, mais ce type d’initiatives favorise énormément les échanges d’idées et de compétences entre étudiants aux profils divers.
Ainsi, pas à pas, les étudiants sont amenés à essayer de mettre en pratique leurs idées, que le projet soit petit ou grand. Des projets transdisciplinaires peuvent émerger dans ces espaces, véritables frontières entre créativité et innovation. Une façon de faire qui nous a marqués tant elles nous paraît (très) loin d’être la norme en France.
Et chez nous ?
A travers la création de son École du Management et de l’Innovation, Sciences Po a pour ambition de former les acteurs d’un monde en constante évolution et où il faut sans cesse innover. Ainsi de nouvelles formations, telle que le master ITN (Innovation & Transformation Numérique) sont nées pour permettre aux étudiants de s’ouvrir à tous ces domaines, notamment en partenariat avec une école de design (STRATE) et une école d’ingénieurs (Télécom ParisTech).
Pour créer, inventer, innover, il faut avoir des espaces d’expérimentation.
Il est attendu des étudiants de Sciences Po qu’ils soient informés des enjeux du monde de demain. Pour cela, il semble nécessaire de leur donner les moyens à la hauteur de ces attentes. Pour créer, inventer, innover, il faut avoir des espaces d’expérimentation. Ne pas se contenter d’un cadre théorique, mais avoir l’opportunité de mettre en pratique des enseignements.
Si Sciences Po dispose déjà de très bonnes infrastructures dans l’audiovisuel, ne serait-il pas temps de créer des lieux de création ? Un studio design où les étudiants de toutes les formations pourraient se retrouver, échanger et créer des projets qui ont du sens ensemble. L’idée est d’offrir les outils nécessaires à la co-création par les étudiants, par exemple dans le cadre des projets collectifs au niveau Master. Mais surtout, ce serait l’occasion pour les étudiants de mettre en œuvre des projets concrets qu’ils soient académiques ou non. Ainsi, les étudiants gagneraient en compétences et en expérience sur le terrain, vrais atouts pour de jeunes diplômés.
Aujourd’hui, les stages permettent de mettre en pratique les acquis des étudiants, mais il faudrait aller plus loin, car la plupart des formations universitaires restent trop théoriques. Si tous les étudiants de Sciences Po ne se destinent pas à travailler dans le domaine des nouvelles technologies, il est nécessaire que chacun puisse les comprendre pour appréhender les enjeux de leur développement (impression 3D, par exemple).
Alors, y aura t-il de la place pour des espaces d’expérimentations à l’hôtel de l’Artillerie ?
Comments