Par Aminata KONE
A Boston, nous avons observé à quel point l’organisation de l'espace physique peut aider à faire éclore l’innovation, notamment en “provoquant” les échanges verbaux entre des membres d’équipes différentes. Or, c’est connu, les échanges les idées innovantes viennent souvent d’échange entre personnes qui travaillent dans des champs distincts. Voici quelques exemples concrets et quelques réflexions à ce sujet.
Comment l'innovation se crée-t-elle ? Nouveaux produit, méthode de travail révolutionnaire, business models disruptifs… : tout cela ne se crée pas en un jour, c'est un processus. On connaît tous les histoires des génies bricolant dans leur garage et trouvant, d’un seul coup, l’invention qui changera le cours d'une industrie. En réalité, ce modèle s'applique à un nombre très restreint d’innovation. Le facteur qui favorise le plus souvent l’innovation, selon les chercheurs et entrepreneurs que nous avons rencontrés à Boston, est beaucoup plus banal : la collaboration, et de préférence la collaboration interdisciplinaire.
Presque tous nos intervenants à Boston nous l’ont répété : c’est avant tout en confrontant ses idées aux perspectives des autres que l'on arrive à repousser les limites de nos réflexions. Cela aide à trouver le bon cadre d'application ou le mode de développement le plus approprié pour nos idées. Les solutions les plus originales et les plus adaptées aux besoins de leurs cibles jaillissent surtout des échanges entre des personnes ayant des angles d'analyse très divers : quand des entrepreneurs travaillent avec des scientifiques, des techniciens, des philosophes. Du moins, c'est la vision prépondérante.
Plus surprenant : la stimulation d'échanges par l'organisation de l'espace physique
Or dans l'écosystème que nous avons visité (Harvard-MIT-Cambridge), le design des locaux des laboratoires, co-working et incubateurs sont tous conçus pour pousser les gens - étudiants et jeunes professionnels de différentes disciplines - à se parler.
L'ultime espace ouvert : le Media Lab du MIT
Le MediaLab du MIT en est un exemple (lien vers l’article de Louis). Il s’agit d’un grand laboratoire de recherche anti-disciplinaire, c'est à dire sans distinctions entre les disciplines "classiques" que l'on trouve dans les institutions traditionnelles d'enseignement et de recherche. Ici, biologistes, urbanistes et journalistes se cotoient !
Les groupes de travail sont organisés autour des thèmes tels que ”la maternelle à vie'”, où l’on développe des expériences d'apprentissage ludiques et créatives pour les gens de tous âges, il y a également le groupe de recherche “les environnements réactifs'”, pour la création de systèmes sociaux connectés et interactifs, ou encore “mobilisation de l'espace”, pour l'avancement du progrès “sur Terre” grâce aux technologies spatiales. Chaque groupe est libre de développer des projets variés et sans obligation d’application commerciale ! Les groupes sont composés d'étudiants, de doctorants et de chercheurs de toutes les disciplines.
Un seul mot d’ordre : ne pas travailler en vase clos. Afin d'encourager l'échange entre toutes les personnes qui passent par le MIT MediaLab, l'espace est organisé de façon très ouverte. Il n'y a presque pas de murs, et s'il y en a, ils sont en verre ; on y trouve des prototypes à chaque coin de couloir (maquettes, robots…) ; mêmes les "salles" de réunion se trouvent en plein milieu d'un étage et ne sont pas séparées physiquement de ce qui les entoure.
La probabilité d'une collaboration passe de 0,3 % à 10,1 % quand les gens se trouvent dans le même couloir et non sur des étages différents
La création subtile de lieux de rencontres
Mais que l’on ne s’y trompe pas : cette organisation de l'espace n’a rien à voir avec des "open spaces" classiques. Aussi, l'ouverture peut aller encore plus loin. Prenons l'exemple du Lab Central, un laboratoire partagé de la biotech à Cambridge, et on se rend compte qu'il y a eu beaucoup de considération pour les détails de l'organisation spatiale. Ainsi, le staff du Lab Central a intentionnellement choisi des machines à café lentes et en faible nombre pour les cuisines, afin de pousser les chercheurs à faire la queue, attendre ensemble, donc discuter, et pourquoi pas créer des ponts entre leurs projets. L'objectif est de faire des cuisines un véritable lieu de rencontre. Les couloirs ne sont pas tout à fait assez larges pour que deux personnes puissent les traverser en même temps, forçant les occupants à se retourner et se faire face lors de leur passage.
Au Cambridge Innovation Center (CIC), un immeuble entier dédié au co-working d'entrepreneurs et d'investisseurs, on trouve une solution originale pour favoriser les échanges entre les personnes : les menus de repas sont différents à chaque étage. Les falafels seront servis au premier, et le steak-frites au deuxième. Ainsi, chaque jour, les gens déjeunent à des étages différents et donc discutent avec des personnes différentes ! Cette pratique est basée sur des recherches menées par le CIC, indiquant que la proximité est un facteur décisif dans la création de l'innovation et que la probabilité d'une collaboration passe de 0,3 % à 10,1 % quand les gens se trouvent dans le même couloir et non sur des étages différents.
Le CIC organise également des soirées hebdomadaires de networking et invite les personnes présentes à faire un pitch de deux minutes, dans lequel ils présentent le projet de recherche sur lequel ils cherchent à avoir de l'aide et quelle compétence ou connection ils pourraient offrir en échange. Le tout avec l'objectif de faire échanger les personnes présentes d'orientations différentes sur leurs projets et ambitions.
La stimulation de la collaboration à travers l'organisation de l'espace physique pourrait contrer certaines habitudes du contexte culturel américain
La collaboration et l'ADN culturel
Il y a, bien sûr, des désavantages à des espaces très ouverts. Au Media Lab, quelques chercheurs nous confirment qu'il peut être perturbant d'avoir le bruit d'une réunion en arrière-plan pendant que l'on essaie de se concentrer. Ces effets négatifs pourraient même conduire à des habitudes qui vont à l'inverse de l'intention de l'architecte : au Media Lab, on voit beaucoup d'interaction, mais aussi un nombre important de chercheurs qui cherchent à s’isoler en portant des écouteurs pendant leur travail dans l'espace ouvert.
Il y a aussi une question à poser sur la nécessité de pousser subtilement à la collaboration : les gens ne peuvent-ils pas très bien initier les conversations eux-mêmes, sans ces coups de pouce ? Il se pourrait que la philosophie de "la collaboration à travers le design" aille plus loin aux États-Unis qu'en France car la culture de travail elle-même le demande. L'un de nos intervenants suggère que c'est moins dans l'ADN d'américain de considérer le lieu de travail comme un lieu social ; on y fait moins d'échanges informels autour d'un café comme il en est l'usage en France, par exemple. Ainsi, la stimulation de la collaboration à travers l'organisation de l'espace physique pourrait contrer certaines de ces habitudes dans un tel contexte culturel. Sait-on jamais : les échanges spontanés créés par les couloirs étroits ou les cafés exotiques pourraient aboutir à la prochaine grande innovation de notre époque, ou au moins à la réussite d'une startup prometteuse.
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